Le Lac (2009)

Troisième single extrait du dernier album du groupe Indochine La République des Meteors, paru le 9 mars 2009, Le Lac est un titre avec une résonance toute particulière.

Il s’agit d’un morceau charnière dans l’album, ne serait-ce que par son emplacement. Il constitue le centre de cet opus. C’est le huitième morceau des seize disponibles sur le disque. Une coïncidence ?

Toujours est-il que cette ballade pop entêtante empruntée d’une certaine mélancolie, signée François-Régis Matuszenski (alias Matu, clavier d’Indochine depuis 2005), représente une Invitation au voyage, très poétique, comme souvent avec Indochine. Parmi ses nombreuses références poétiques (notamment Baudelaire ou Mallarmé qui reviennent souvent), il est clair que Rimbaud a une place dominante dans ce clip.

Ce single accompagné d’un clip, illustre bien les thèmes abordés par le dernier album : l’absence, la souffrance de perdre un être cher, l’éloignement, la séparation, la mort, l’espoir. Il a pour toile de fond la Grande Guerre, durant laquelle des milliers de vies furent bouleversées et sacrifiées à jamais. Des sentiments effectivement très bouleversants, adjectif avancé par Nicola pour qualifier l’atmosphère de l’album durant l’enregistrement.

Réalisé par Patrick Boivin, cinéaste autodidacte canadien, le clip cherche à coller le plus possible aux paroles du morceau mais offre toutefois plusieurs interprétations au spectateur.

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Le film s’ouvre sur la scène suivante : un soldat inanimé est allongé sur le sol. Est-il mort ? Rien ne permet de l’affirmer. S’ensuivent des images illustrant un couple de personnes âgées, près d’un lac. « J’arrive au bord du lac… »

Le soldat est filmé en un panoramique de bas en haut comme pour remonter doucement sur le corps du personnage principal, incarné par Nicola Sirkis, le leader du groupe. Ce dernier est “endormi” et, le mouvement de caméra nous permet d’entrer dans ses pensées. On ne possède aucun indice ni spatial ni temporel par rapport à l’action qui suit. Le lac est-il le même ? Est-ce un rêve ?

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Les personnages apparaissent dans un plan en plongée ; ils sortent de l’ombre pour entrer directement dans un bain de lumière. Comme s’ils retrouvaient une seconde jeunesse ou bien qu’ils étaient éclairés par la grâce, par quelque chose de neuf. On peut également constater que pendant plus d’une minute, l’image est toujours en mouvement. Il s’agit d’un mouvement très léger, très lent, qui n’est pas brutal. La caméra semble « glisser ». En effet, elle accompagne le bateau qui glisse sur l’eau, comme s’il amenait inévitablement les personnages vers la mort.

Comme pour ne pas se perdre ou pour guider le spectateur, le clip a été livré avec sa petite notice explicative, comme pour nous aider à voyager. Certains pourront trouver ça superflu, inutile ou agaçant et d’autres seront « rassurés » d’avoir, sous la main, une interprétation toute faite. Quoi qu’il en soit, le petit mot laissé par Patrick Boivin trace une direction nette du script : « C’est l’histoire d’un soldat à l’article de la mort qui s’imagine ce que son couple aurait pu être s’il avait survécu ».

Le couple représente donc les pensées de ce soldat au sol, s’imaginant arrivant au bord du lac avec sa bien-aimée.

Le rythme du clip est plutôt lent (avec l’utilisation d’images ralenties). On peut l’interpréter comme une pensée fragile qui s’évanouit peu à peu du fond de l’esprit mourant du soldat, un moment où le temps serait suspendu… Le soldat s’en va petit à petit et rêve. Un rêve en noir et blanc, comme pour accentuer cette part d’irréel. Il s’en dégage un apaisement, un rêve bienheureux, comme si toute l’horreur et la boucherie guerrières n’étaient qu’un cauchemar et que ce soldat s’en allait dans un monde meilleur, son monde, celui qu’il a choisi. Quoi de plus beau et rassurant que l’amour paisible de sa promise à l’article de la mort ?

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Dès les premières images, on remarque que le clip s’inspire du poème d’Arthur Rimbaud Le dormeur du Val. La verdure et la nature sont très présentes, comme dans le poème. On peut la rapprocher de cette impression paradoxale de vie et d’une certaine quiétude au moment même de mourir. Comme un soulagement, la libération d’un poids devenu trop lourd à porter ? La présence de la nature, comme sollicitant tous les sens et habillée de lumière. Cette même lumière qui symbolise la vie et l’espoir. A la fin du clip, la lumière diminue au fur et à mesure que la caméra s’aventure au fond du lac. Cependant, l’espoir ressurgit à la dernière scène, mais nous y reviendrons.

Ce soldat étendu dans l’herbe donne une impression étrange de bien être, comme s’il savait qu’il allait mourir, mais que c’était mieux ainsi, qu’il pourrait enfin se reposer et rêver. Il est seul, comme abandonné de tout, de tous, mais il n’imagine pas être seul, il pense, il est ailleurs.

Indochine, c’est la douleur sans l’inquiétude ? A voir. Mais Indochine peut sans doute être élevé au rang de mouvement poétique à lui tout seul…Chaque morceau d’Indochine a une dimension inaccessible et est incarné à merveille par son leader.

Pourtant, il est intéressant de préciser que malgré cette brume mystérieuse que véhiculent les morceaux du groupe, un certain ordre ou des repères subsistent. Le titre est étonnamment structuré dans son déroulement. Jugez plutôt : le bord du lac, le milieu du lac, puis le fond. Comme pour signifier un début, un milieu et une fin. Forcément.

« Comme des héros », autre leitmotiv chez Indochine. Ne cherchez pas plus loin que le « vrai héros de tous les temps ». Ici, le héros a pris une dimension réelle et historique puisque l’on imagine assez bien qu’il s’agit d’hommes ayant été élevés au rang de héros pour la patrie. Ces hommes partis au combat, au front, pour ne jamais revenir. De vrais héros, tombés « sous la mitraille ».

Un album qui rend hommage, sous certains aspects, à « ces générations sacrifiées » selon Nicola.

Autre référence assez explicite, par le titre, cette fois : Le lac, d’Alphonse de Lamartine. Une inspiration plus générale et sans doute métaphysique des choses. Une réflexion sur le temps qui passe, la vie qui file, les êtres qui disparaissent : « Éternité, néant, passé, sombres abîmes[…]Le temps m’échappe et fuit« . Encore une illustration très « météoritique ».

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Malgré les nombreuses références voulues, la « griffe » Indochine est toujours présente. C’est la raison pour laquelle ce clip ne se termine pas comme Le dormeur du Val. En effet, l’ultime scène nous montre un soldat qui se réveille. Pourtant, nous avions laissé juste avant notre couple danser, au fond du lac et ainsi réaliser un fantasme humain, sans doute très ancien. Celui de partir quand on le souhaite et d’avoir cette impression troublante de contrôler sa vie, son existence. Celui de partir avec celui ou celle que l’on aime et qui a partagé nos joies et nos douleurs. Partir de la sorte et laisser cette trace symbolique forte d’un départ pour un amour éternel, qui ne s’arrêtera jamais. Le système de pompage d’air situé sur la barque s’arrête et l’on comprend que ce couple fera alors sa dernière danse, au fond du lac. La caméra s’arrête enfin. Il n’y a plus de mouvement du tout.

Pourtant, dans le clip, tout est affaire de mouvement, et plus précisément, de mouvement circulaire. La caméra effectue elle même des mouvements circulaires, la machine à pomper l’air tourne, tant qu’elle est active, elle représente la vie qu’elle offre sous la surface de l’eau. En revanche, le tourne-disque fait danser le couple sous l’eau. Mais la musique ne représente-t-elle pas justement la vie pour Indochine ? La vie ne s’arrête jamais, il y a toujours quelque chose qui tourne, inlassablement pour la propager. Que ce soit les mouvements de caméra, la machine à pomper l’air, le tourne-disque, le couple qui danse…

La vie est omniprésente.

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Les mots « A la vie, à la mort » (titre originel pour LadyBoy) représentent parfaitement le clip. Le couple lié jusqu’à la fin, la lumière qui ne disparaît jamais, le blanc qui représente la vie et qui prend plus d’importance que le noir à l’image…

Mais Indochine joue la carte de l’espoir. L’ultime plan nous apprend que le soldat n’est pas mort, au contraire, il se réveille. Il avait déjà bougé les doigts au milieu du clip. Là encore, on constate que le film a un déroulement symétrique. En effet, le dernier plan est un panoramique de la caméra dans le sens inverse du premier plan. Cependant, cette fois ci, le soldat ouvre les yeux et revient à la vie. Ainsi, la boucle est bouclée, la vie reprend son cours, c’est un éternel recommencement. Ici se situe toute l’essence d’Indochine, quelque chose qui se renouvelle sans cesse, en perpétuelle évolution qui vient, part et revient, inlassablement et éternellement.

Un nouveau départ ? Un espoir de vie ? Nicola a souvent résumé le dernier album comme une « leçon de vie », peut-être est-ce l’illustration de ses mots. Une incarnation parfois personnelle de l’espoir, comme pour rassurer ou se rassurer contre une réalité trop dure à accepter, comme quand Nicola racontait que la belle Alice n’avait « juste qu’un ennui, c’est de comprendre les jours de pluie…mais je suis là… ». Oui, il est là, il représente l’espoir et possède encore une fois un rôle ambigu.

Ce texte ne serait pas tout à fait complet si l’on omettait d’évoquer le clip qui est diffusé lors des concerts du groupe sur l’actuelle tournée triomphale du Meteor Tour. Il s’agit d’un deuxième clip de la chanson, projeté sur cinq écrans géants en arrière plan du groupe. Il représente le parcours du soldat après son réveil, comme une suite. Le soldat finit par s’avancer jusqu’au milieu du lac et se termine par l’image extrêmement troublante et intense d’un Nicola Sirkis, vêtu comme un soldat, qui s’enfonce dans le lac et disparaît… « Tu veux me suivre au fond du lac, tu veux me suivre alors suis-moi… ».

Ce plan vous glace le sang et le regard de Nicola Sirkis est envoûtant. Comme s’il regardait son public une ultime fois avant de disparaître sous l’eau.

En résumé, ce film est le résultat d’un travail esthétique soigné, comme toujours avec Indochine. Des images truffées de références mais un parfum toujours Indochinois, où l’âme du groupe s’implique jusqu’à incarner ce soldat en perdition. Juste encore ce mot pour finir : bouleversant.

Vincent LALLIER et Guillaume TILLEAU

Titre original et réalisation : Le Lac, Patrick Boivin
Date de sortie d’origine : 18 septembre 2009
Durée : 3 minutes et 36 secondes (capté à Montréal, Canada)
Album : La République des Meteors (2009)
Artiste : Indochine
Label : Jive/Epic, (P) 2009 pour Sony Music Entertainment France (C)

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