Traffic Girl (2014)

Cinquième et sans doute dernier extrait de l’album Black City Parade, Traffic Girl arrive, peut-être, un peu tard pour l’exploitation de cet opus.

Traffic Girl représente un très bel aspect urbain lié à la thématique de l’album. Nicola a très bien expliqué ce qu’étaient ces Traffic Girls, qui faisaient la circulation en Corée du Nord, notamment. Une circulation quasi inexistante.

Pendant la phase d’enregistrement de l’album, il avait d’ailleurs très bien su mettre en avant, sur les réseaux sociaux, une vidéo de ces fameuses filles en action. Ou comment lâcher un indice de taille sur leur futur effort.

traffic girltraffic girl2Un doux parfum d’exotisme des débuts d’Indochine se fait sentir à l’évocation du thème et des origines asiatiques du phénomène Traffic Girl. En cela, l’exploration du propos est très une bonne idée pour illustrer une imagerie à la fois urbaine mais aussi exotique, lointaine et dépaysante.

Le texte de Traffic Girl, écrit par Mathieu Peudupin (Plus connu sous le nom de Lescop, ancien chanteur et parolier du groupe Asyl, présent lors de nombreuses premières parties d’Indochine) et mis en forme par Nicola est une véritable histoire de vie. La descente aux enfers d’une fille qui n’en peut plus de son état, de sa condition.

On retrouve, à nouveau (après Les portes du soir et 999), cette alchimie des plumes de Peudupin et de Nicola, pour ce qui reste l’un des textes marquants de l’ère de la ville noire.

A la lecture des paroles, il est intéressant de noter qu’il s’agit d’une interprétation très occidentale de ce phénomène, au travers de notre vision du monde et de nos règles de vie, de travail.

Dans les pays aux célèbres Traffic Girls, la vie est différente, la mentalité aussi.

A nos yeux, il apparaît totalement incroyable, voire incompréhensible, que des « agents de la circulation » soient placés au beau milieu des routes alors qu’il n’y a presqu’aucune circulation.

Le morceau s’intéresse de près aux sentiments personnels de ces filles et aborde bien cette solitude, cette déshumanisation que peut représenter la reproduction machinale de tous ces gestes, dans le vide. « Le trafic devant tes yeux défile, mais n’existe pas, n’existe pas… ».

Il s’agit d’un morceau triste, beau et émouvant. Nicola décrit cette fille, ce qu’elle endure, ce qu’elle ressent et ce qu’elle risque, à continuer comme ça, dans le néant. Elle s’écrase, elle se perd, elle oublie qui elle est, pourquoi elle est là, pourquoi elle existe. Une seule solution « Ne reste pas ! » lui implore Nicola, protecteur. « J’aurais voulu te voir, encore une fois… ».

On peut regretter que le clip n’emprunte pas cette voie d’une fille en perdition, que Nicola aurait pu côtoyer, aider ou sauver…

La démarche visuelle du clip rejoint assez bien la prestation « live » effectuée sur Canal +, lors du festival de Cannes en mai 2014. Une actrice du clip était présente sur le plateau afin de reproduire une chorégraphie, en tenue de circonstances. Le côté esthétique, entre sensualité et rigidité militaire de la Traffic Girl, a davantage été mis en avant que sa condition de détresse, comme une représentation symbolique de l’exploration de l’album.

TG Grand journalCet aspect s’est aussi vérifié lors des deux concerts aux Stades de France, les 27 et 28 juin 2014, lorsque nous avons découvert de grandes poupées gonflables Traffic Girls ou bien la présence d’un débardeur, déjà collector, à l’effigie des Traffic Girls, vendu sur les stands du merchandising.

BrYt841IEAABmwKL’imagerie de Traffic Girl est forte, marquante. Comme un gimmick. Comme la Croix Paradize, l’étoile d’Indochine ou la petite fille au tambour.

Elle aurait pu représenter un symbole encore plus fort si elle avait été mieux exploitée, du moins, beaucoup plus tôt.

Le clip prend la direction d’un esthétisme, utilise le costume des Traffic Girls et se sert de sa « distraction » avec les codes de celui-ci, en omettant volontairement le côté dramatique du morceau.

Réalisé par Yves Bottalico, fidèle lieutenant d’Indochine (JDALL, Memoria notamment) le clip nous plonge au cœur d’un décor factice acidulé, comme pour mieux insister sur l’absence de repères, sur l’absurdité d’une telle activité.

Comme si cette vie n’existait pas, comme si elle n’avait aucun sens, aucune utilité, aucun but.

Peut-être sommes-nous dans un rêve ou un cauchemar ? Celui d’une Traffic Girl, qui sombre, qui meurt, ou qui se drogue pour mieux oublier ?

TG 2TG 6TG 8De ce point de vue, la version album du morceau est peut-être plus aboutie, avec son introduction aux sonorités clairement asiatiques et l’impression d’être dans une atmosphère « floue » et rêveuse justement, contrairement à la version radio qui insiste davantage sur le côté « pop » et électro du morceau, misant sur un aspect plus positif, plus « dansant », comme le suggère le clip.

Personne ne la voit. Mais elle se voit, se revoit, faisant toujours les mêmes gestes, « gracile et rêveuse, impassible… ».

Les nombreux gros plans sur les visages des Traffic Girls impriment une certaine gravité et permettent de s’attarder sur les émotions de celles-ci, le visage humide, peut-être du fait de la pluie ou des larmes versées, discrètement, que personne ne voit et que personne ne soupçonne.

TG 9TG 36Le décor, bien que fictif, nous rappelle bien l’origine de l’inspiration : une ville, une mégalopole dont le bruit, la violence viennent côtoyer l’infiniment grand et l’infiniment petit. Multi-paradoxes d’une ville de vies. Perdu dans l’immensité d’une ville noire, d’une ruche à humain, complètement déshumanisée. « Plus personne n’y croit… ». Symptomatique de notre époque.

Le clip de Traffic Girl propose un montage somme toute classique, la musique donne le rythme aux images ou ordonne le changement de plans. L’introduction de la chanson peut sonner comme une petite « marche au pas » exaltante. Les Traffic Girls sont enfermées dans un décor aux couleurs vives et chaudes, dans des lignes qui les emprisonnent dans un mouvement militaire, « comme un soldat de bois… », dans un mouvement limité. Elles regardent à gauche, à droite, en avant, en arrière.

TG 11TG 12Elles sont de petites poupées articulées, emprisonnées dans leur rôle, mais également par le montage et par la musique, répétitive. Il est à ce titre intéressant de noter qu’au fil du clip, les mouvements de caméra sont plus libres, ils s’éloignent des axes classiques pour se laisser aller à davantage de liberté, mais encore une fois, une liberté contrôlée.

Les Traffic Girls sont censées représenter une autorité, l’idée d’un respect de la circulation, et ne peuvent, à ce titre, se permettre le moindre écart, la moindre émotion, surtout là-bas. Les gestes sont brutaux, secs et stricts. Les visages sont fermés.

Le décor bouge, file, mais n’existe pas, n’attend pas et n’entend pas ces filles. Le clip répond parfaitement à cette idée en mettant en avant un arrière plan fictif.

TG 38TG 40Malgré l’arrivée du gimmick du morceau, au bout de 40 secondes, ni les Traffic Girls, ni le montage ne semblent être affectés par cette musique. Nous sommes donc bien, au départ, dans l’idée de l’emprisonnement.

Qui se soucie d’elles ? Qui pense à elles ? Leurs gestes sont répétitifs et chorégraphiés, ce qui renforce aussi la recherche d’un certain esthétisme qui n’a pas échappé à Indochine.

De plus, le côté romantique de Nicola a certainement été chatouillé par un tel phénomène, a fortiori, concernant ces filles aux origines asiatiques.

TG 28L’explosion du carcan de cette « mauvaise vie » s’amorce lorsque la chorégraphie se dérègle, lorsque ces filles se mettent enfin à bouger, danser, à vivre tout simplement.

Cette explosion se caractérise aussi par la sensualité, par cette idée de vouloir vivre encore plus fort. Cela ne vous rappelle rien ?

Lorsque surgit la phrase « plus personne n’y croit », un changement s’opère, les filles se lancent dans une danse lascive, où la sensualité prend petit à petit le pas sur la mécanique de la chorégraphie. Le montage, lui, ne change pas, le décor en arrière-plan semble s’agiter, des ralentis sont installés pour sublimer les poses des filles.

TG 26TG 16TG 21Toutes les filles se rassemblent, comme pour amorcer une révolte ? Exprimer un ras-le-bol ? Elles prennent enfin le pouvoir, après avoir tant subi, tant enduré…

La force des mouvements est centrale dans ce clip. Au départ, les tenues sont de rigueur, les cheveux attachés. Progressivement, s’installe une dérégulation des codes, des règles jugées trop strictes et absurdes.

Finalement, il existe vraiment l’idée de sortir de la conformité, en bonne et due forme. Il faut sortir de l’uniformité, en uniforme.

TG 42TG 25Bien qu’une réelle évolution opère dans le clip, elle ne prend œuvre que par la danse des filles et non par un montage qui s’éloigne de son conformisme militaire du début.

Les regards sont fixes et déterminés, il y a de l’espoir également.

C’est un clip teinté d’espérance, qui inspire le libre arbitre et le droit à changer les choses. Peut-être peut-on y voir un gentil petit tacle à ces pays où la liberté autonomique n’est pas le premier critère qui nous vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de les décrire.

TG 29La chorégraphie a changé, les gestes sont plus sensuels également.

Le plan final s’attardant sur le regard de la fille à la fin, petit sourire en coin, ne peut que renforcer cette impression positive. C’est un signe de vie. L’atmosphère positive du clip est également renforcée par la présence de couleurs vives et marquées, inspirant une ambiance davantage festive que grave.

Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

TG 43Le réel point noir du clip vient avant tout de la version « Edit » du morceau qui supprime le passage où Nicola s’adresse à la Traffic Girl : « Ne reste pas ! ». Cette phrase aurait été parfaite pour faire office de rupture dans le clip et l’amener à une dimension plus exaltée, non seulement s’agissant de la danse, mais également dans le montage de la vidéo.

Au final, ce clip, loin d’être inintéressant, ne va pas complètement au bout de ses idées. La rupture n’est pas assez ressentie par le spectateur. Une Traffic Girl plus libérée, se détachant les cheveux aurait peut-être, eu, plus d’impact. A noter que la Traffic Girl présente sur le plateau du Grand journal, pour la prestation « live » de Traffic Girl, effectuée sur Canal + lors du festival de Cannes en mai 2014, finit par se détacher les cheveux. Dans le clip, on ne sent pas assez le cri de la délivrance, on ne voit pas les jeunes filles prendre leur envol sous l’impulsion de la musique qui décolle. On aurait aimé les voir sortir plus violemment de cette ritournelle militaire, y compris sur le plan sensuel et charnel.

Malgré cela, cela reste un clip très rythmé, qui part d’une idée forte mais sans jamais réussir à la transcender. On pardonnera le groupe et le réalisateur, n’ayant sans doute pu pleinement se consacrer à la conception du clip, sorti précipitamment, dans une période très chargée et riche en préoccupations, notamment en raison de la préparation de la grande messe des Stades.

TG 32

Vincent LALLIER et Guillaume TILLEAU

Titre original et réalisation : Traffic Girl, Yves Bottalico
Date de sortie d’origine : Juillet 2014
Durée : 4 minutes et 32 secondes
Album : Black City Parade (2013)
Artiste : Indochine
Label : Arista (P) 2014 pour Sony Music Entertainment France (C)

 

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