L’album, le single, le morceau, Le Baiser est un titre significatif pour Indochine. Titre évocateur pour tous, il constitue l’une des marques de fabrique pour le groupe. Comme si ce geste, ce phénomène, en apparence ordinaire, avait été redessiné, repensé, redéfini par Indochine. Comme pour lui redonner son intensité, sa force, sa sensualité. Instant si commun et précieux en même temps.
Un Baiser peut vouloir dire tant de choses, et chez Indochine cette marque charnelle est très présente, sans aucun doute. Elle unit des générations entières, elle nourrit les liens entre le groupe et ses fans, comme une vraie histoire d’amour, de corps, de sexe, comme s’il demeurait un lien si spécial entre nous, entre vous. Comme un signe de reconnaissance Indochinois ? Certainement, rappelez-vous, le fameux IndoKiss ou encore l’exemple parfait d’embrasser jusqu’aux chansons du groupe, à savoir le fameux gimmick Kissing my songs.
Cette mécanique voluptueuse est extrêmement présente chez Indochine, initiée par Nicola, l’embrasseur de toute cette foule. Le groupe y a adhéré aisément. Forcément, comment résister à l’appel du baiser de la trendresse, de l’amour, de l’envie et de la séduction ? Nous avons tous été pris au piège, un jour ou l’autre. Un Baiser, si tendre et chaleureux. Le goût du Baiser d’Indochine, empli d’un souffle intime et assez savoureux pour nous donner envie d’y regoûter, encore et encore. Tendre et délicieux baiser, au parfum d’érotisme suggestif. Indochine nous tient en haleine, les bouches ouvertes, accueillantes et destinées à recevoir cet amour caractérisé par ce baiser, souvent matérialisé par son chanteur, lorsque les gens montent sur scène. C’est aussi cela Indochine. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas. Le constat est là, Indochine c’est de l’amour. Le Baiser d’Indochine en est le produit le plus concret et immédiat. Le plus instinctif aussi.
Il suffit de visionner les vidéos, les DVD, les VHS, tout y est. La philosophie Indochinoise se retrouve dans cet acte. Indochine en a fait un album. A travers un baiser, les gens se rassemblent, s’acceptent, s’aiment, se mélangent, et c’est bien là le cœur du message de tolérance et d’amour que prône Indochine. A l’intérieur de cet acte de reconnaissance, de tendresse et de démonstration amoureuse, se dégage un puissant élan de liberté ! Toutes celles et ceux qui le désirent peuvent venir s’embrasser en Indochine.
Relisez ce fameux passage présent dans la célèbre pièce de théâtre d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac et vous percevrez la douceur de la promesse d’un baiser Indochinois. En tout cas, la poésie qu’inspire ce passage à travers la démarche du groupe, est assez significative.
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui peut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le coeur,
Et d’un peu se goûter au bord des lèvres, l’âme !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte III, scène 10.
Ce titre, de manière assez paradoxale, replonge le groupe au coeur de ses fondements, celui qui a fait son succès les années précédentes. Plusieurs indices à cela : la thématique sensuelle directement plaquée au premier plan à travers ce titre, lancé comme premier single du nouvel album éponyme, dès le mois de janvier 1990. Des fondamentaux remis au coeur du groupe certes, notamment à travers le retour de Philippe Eidel aux manettes (après avoir été absent de 7000 Danses, et ayant précédemment réalisé l’album 3), mais aussi un changement total d’horizon à travers cette nouvelle décennie. De quatuor magique, le groupe Indochine se contemple désormais en trio infernal. Dimitri a quitté le navire. D’une musique très produite et technologique façon Glasman pour 7000 Danses à un son très épuré, voire minimaliste pour ce nouvel opus.
Une démarche volontaire comme pour signifier, là encore, un retour à une dimension plus humaine, plus brute et mesurée. Elans et paramètres perdus de vue avec l’ampleur d’un succès aux monstres tubesques des années 1980 qui a vu le groupe embarqué dans un album successeur aux moyens engagés colossaux, les envoyer dans un rythme redoutable d’une machine promotionnelle démesurée, pour finir vidés, épuisés, et relativement meurtris par ce passage dantesque au Pérou. Une période qui a certainement laissé des traces au sein du groupe. Il fallait se recentrer. Cet album en est la parfaite illustration.
Comme souvent, Nicola va trouver de l’inspiration et une certaine régénération à travers la littérature. À cette époque, il lit Cohen, Kundera ou Céline. Mais surtout, J-D Salinger. Il apprend aussi la guitare. Peut-être est-il temps pour lui de commencer à grandir, s’épanouir musicalement. Une expression musicale plus personnelle lui tient sans doute à coeur. Malgré les tensions qui peuvent exister en studio entre Eidel, Nicola et Dominique, Indochine est au travail. De nouveaux instruments apparaissent, des cordes sont très présentes dans ce disque ou même certains instruments traditionnels comme le Santur et le Kemantche, qui se font entendre.
De la pochette du disque (élaborée par Nicola, avec des morceaux de toiles découpées), en passant par le son très dépouillé du morceau, Indochine se lance à la reconquête du public dans un esprit totalement libre, au niveau de son approche artistique. De ce baiser purificateur se dégage une envie saine de se présenter sous un jour plus adulte, plus aguerri, plus mature sans doute. À cette époque, l’imagerie visuelle du groupe n’est pas mise en avant. Comme pour signifier, que seule la musique compte, à ce moment.
La pochette illustre bien cet aspect sombre que contient ce disque. Une pochette noire, point. Rien ne ressort hormis Indochine. Le groupe a grandi, vécu et il en reste des souvenirs et des émotions qui font jaillir un renouveau. Un Baiser parfois empoisonné, parfois douloureux, parfois amoureux, parfois langoureux. Certains des plus beaux textes ont été écrits dans cet album. Punishment Park est un de ceux-là. Un album très investi, très poétique et mélancolique en même temps. Pas de cri à coeur ouvert, ce n’est pas le style de la maison. Plutôt des regrets, des sentiments nostalgiques, une posture amère, attristée, désolée.
Le texte du Baiser lui, sans relative ambiguïté pour une fois, sera épinglé par la critique à travers la polémique syntaxique autour du fameux « Corrige-moi mes fautes ». Dommage, c’est un texte très subtil, il faut le lire plus en profondeur. Pour certains, ça n’est pas possible, pour d’autres c’est le trait typiquement Indochinois de la candeur Sirkissienne, dans toute sa splendeur. La maladresse peut parfois être déroutante, troublante et séduisante. Cela vaut bien un baiser.
Le clip Le Baiser a été réalisé en 1990 par Costa Kekemenis, il s’inspire très certainement de la célèbre photo Le Baiser de l’Hôtel de ville, de Robert Doisneau. Cette photo peut, en effet, constituer un superbe point de départ pour le clip. Photo montée de toute pièce mais paraissant volée sur l’instant, enfermant un moment de vie intime et publique en même temps. Instant magique, capturé dans l’appareil de photographie argentique de Robert Doisneau. Cette photo constitue l’un des clichés les plus célèbres au monde aujourd’hui. Une assimilation du cliché à la vie des gens, leur propre existence. Quoi de plus fort pour imprégner la masse ?
Le clip est, à l’image du morceau, extrêmement épuré. Salle sombre, vide autour des trois membres d’Indochine. Rien ne compte hormis leurs animations corporelles, leur performance musicale, leurs émotions. Leur emplacement est tel qu’il forme un trio indissociable à la fois soudé mais aussi séparé d’un mur sentimental, chacun étant à sa place, sans se voir, sans se regarder. La disposition du trio – sur des chaises hautes – renvoie tout de même à une ambiance assez intimiste (que l’on retrouvera plus tard dans les moments « acoustiques » des trois dernières tournées). La pièce dans laquelle il se situe est toute noire, elle possède une dimension qui nous est inconnue. Un espace feutré, loin du monde.
Assez minimaliste dans la réalisation, ce clip possède néanmoins une importance centrale chez Indochine. Ce « cinéma vérité » souhaité par le groupe est bien retranscrit ici. Des instants de vie accumulés dans la pellicule, monté à toute vitesse à l’aide d’images parfois accélérées, comme un défilé soudain de circonstances fulgurantes liées à un baiser, dans une multitude de contextes. Le père embrasse sa fille, l’amant embrasse sa promise ou le chien affiche toute son affection envers son maître. Seul maître mot : l’amour. « Le baiser que tu m’as donné pour t’aimer, je t’aime comme un fou… ».
Le clip commence par une main qui secoue une boîte d’allumette. Un son original et minimaliste encore une fois, qui donne le tempo, comme pour faire partir les images.
Le clip peut alors démarrer, nous dévoilant un esthétisme soigné, en noir et blanc. Une sorte de melting-pot d’images prises sur le vif, de baisers volés, échangés furtivement, passionnément, langoureusement ou timidement dans des lieux publics. Les images défilent rapidement, de nombreux travellings instables sont présent. On sent que le temps passe, de manière précipitée, seul les baisers semblent le figer. Et c’est une marque importante sur laquelle Indochine a toujours misé : la fixation du temps à travers une base donnée. Ici, la marque temporelle fixée est clairement ramenée au baiser, le centre du concept sur cette vidéo. La communication buccale est parfaitement évocatrice d’une émotion conduite par cette envie de poser ses lèvres sur celles d’autrui, comme un signe de confiance, de reconnaissance ou d’amour.
Le clip fonctionne par une alternance entre ces images et celle du groupe, du nouveau groupe que le public (re)découvre. La caméra voltige et tournoie autour d’eux comme si elle ne savait pas où est sa place dans ce nouveau groupe. Comme s’il fallait trouver sa place justement, apprivoiser cette nouvelle formation qui va donner un nouvel élan.
Les images transportent le spectateur, perdu dans un élan d’amour qui virevolte autour de lui, comme la caméra autour du groupe. Cela ne symboliserait-il pas justement un désir pour le groupe de se poser un peu, de réfléchir à tout cet amour, cet fan-attitude qui s’est créée autour d’eux ? Une réflexion possible qu’a pu avoir le groupe. À l’inverse, peut-être est-ce le début d’un manque d’affection qui commence à pointer vis-à-vis d’Indochine ? Le vent commence en effet à tourner pour eux. Des groupes commencent à monter à l’époque, ayant cette démarche davantage radicale et contestataire. Citons parmi eux Noir Désir, Trust ou encore NTM.
Indochine préfère miser sur la poésie, l’exploration intime et sensuelle. Les paroles résonnent alors comme un désir de continuer le groupe, de continuer cette étreinte passionnelle avec le public. Cette idée est renforcée quand on sait la dimension qu’a pu prendre cette chanson, notamment vingt ans plus tard sur la tournée Paradize Tour où Nicola chantait, sur un tempo légèrement plus rapide devant une foule aussi nombreuse qu’éblouie : « Le baiser pour rester rien que nous deux, pour s’aimer, et s’embrasser ».
Ce morceau sonne comme une communion intime avec le public, un flirt passionnel que l’on ressent dans la texture des images. Ce spot violacé évoque la mélancolie, la douceur et la rêverie. Les gestes des membres du groupe sont d’ailleurs langoureux et lancinants, les têtes tournent, se laissent bercer par la musique à travers des gestes calmes, comme si le groupe était en paix et venait de trouver un nouvel équilibre.
Des illustrations textuelles et visuelles du Baiser sont souvent installées par les cinq sens qui nous animent. L’aspect du toucher, d’embrasser est évidemment explicité. « Laisse-moi passer effleurer mes doigts sur toi ».
De même, cette vision d’autrui, que l’on embrasse, celui que l’on respire sur son sourire, celui que l’on caresse, que l’on entend, que l’on goûte. « Et ta peau se mouilla, elle aura comme un goût, un goût de lait ». Le lait, sensation douce, pure. Symbolique de la blancheur, de la candeur et de l’innocence. Même tout petit, l’on embrasse. Peut-être s’agit-il du premier acte à caractère sensuel et sexuel que l’on accomplit dans la vie. Cette évocation juvénile et intemporelle embrasse si bien la philosophie développée par le leader d’Indochine…
Un mélange de blancheur et de noirceur recouvre assez bien ce que peut décharger l’album, au niveau des impressions sensorielles. Ligne qui rejoint assez bien l’état du groupe à l’époque, entre désir d’avenir et souvenirs douloureux, tensions sous-jacentes…Indochine avance à grand pas sur ses dix ans d’existence, l’âge de l’éclosion ou de l’explosion, ou bien les deux.
Un baiser est souvent accompli d’une façon rituelle, où l’on ferme les yeux, pour insister sur la sensation olfactive et buccale pour ensuite les ouvrir et contempler l’autre, sourire. Sensation ultime, simple et intime que représente le baiser. Illustration parfaite du nouveau groupe que représente Indochine à cette époque-là. Approche plus simple et épurée mais sans perdre l’atmosphère tendre et émotionelle que véhicule le groupe au travers de sa poésie lyrique. Un grand cru signé Indochine, qui se (re)découvre avec bonheur et délectation, bien des années après. Comme un tendre et savoureux baiser…
Guillaume TILLEAU et Vincent LALLIER
Titre original et réalisation : Le Baiser, Costa Kekemenis
Date de sortie d’origine : Janvier 1990
Durée : 4 minutes et 17 secondes
Album : Le Baiser (1990)
Artiste : Indochine
Label : BMG/Ariola, (P) 1990